Entretien : Jules Fesquet (Bureau Nuits) : la D.A d'Akki
Entretien avec Jules Fesquet du studio Bureau Nuits à propos de la direction artistique de la revue Akki.
Plutôt que d’écrire sur le sujet de la D.A d’Akki, on s’est dit qu’il serait plus intéressant de donner la parole aux concernés. En l’occurrence à Jules Fesquet, moitié de Bureau Nuits qui gère la D.A de notre revue depuis ses débuts. On lui a posé quelques questions auxquelles il a gentiment répondu pour connaître le b.a.-ba de la direction artistique d’une revue.
La fabrique Akki : De manière générale, en quoi consiste le travail de direction artistique d’une revue ?
Jules Fesquet (Bureau Nuits) : La D.A d’une revue consiste à coordonner l’ensemble des éléments de la conception visuelle de la publication (chemin de fer, papiers, typographies, éléments graphiques, photographies…) autour d’une vision. Vision qui est établie en amont en étroite collaboration avec le rédacteur-en-chef et/ou l’équipe éditoriale.
Quelles sont les grandes orientations de la D.A sur la revue Akki ?
La dimension collaborative de ce projet, avec ses appels à articles, le rapport rédacteur/designer, les intervenant·es, nous a donné l’envie d’assumer un parti-pris assez fort d’objet éditorial hybride qui se voulait pour nous comme un lieu d'expérimentation, un playground avec pour objectif de créer des règles visuelles flexibles.
Cela peut se retrouver tant dans l’identité visuelle que dans la DA de la revue.
D’itérations en itérations, nous avons créé une direction singulière ou la place du vide est essentielle, ou la grille de composition joue un rôle de médiateur et structure optiquement les doubles pages.
Bien sûr cela peut être clivant pour certain·s, mais cela pose aussi la question de la place du lecteur dans la consommation d’objets éditoriaux et celui-ci se voulant “slow” (dans la fabrication, la production, les sujets abordés, la périodicité) il nous semblait pertinent (se situant de toute façon dans une audience nichée) qu’il nécessite un effort d’immersion et de compréhension.
Quelles sont les grandes étapes du processus de direction artistique sur un numéro d’Akki ?
Ce qui a été le plus énergivore, c’était la conception du premier numéro. Avant même l’objet, il a fallu concevoir l’identité visuelle, comprendre le positionnement, comment se situer là-dedans et à quel univers on souhaitait associer la revue. Cela a déjà donné le ton et dégrossi pas mal de points. Il fallait se créer ses propres règles- ce qui n’était pas une mince affaire.
Ensuite, on a repeint des murs entiers de double-pages imprimées, de recherches de grilles, typos, hiérarchisation des infos, du rapport texte/images ; de longues discussions. Quelques chose de très anarchique mais qui nous a permis d’y voir plus clair, d’affiner et de corriger la direction, d’être plus serein sur la façon d’appréhender la revue en fonction de son contenu.
Une fois les idées éclaircies, on s'est attaqués à l’objet dans son ensemble pour voir ce que donnaient nos itérations sur un numéro entier. Puis une étape de rationalisation de la grille, des typos, de la place de l’image nous a permis d’aboutir à quelque chose de singulier avec une identité consistante et flexible.
Comment s’élabore le processus de « construction » d’un article ?
Pour Akki, nous avons pris le parti d’essayer - je dis essayer car on ne le fait pas sur tous les articles - de développer un langage graphique (éléments visuels, composition, caractères, blancs tournants, style de paragraphes…) qui est connecté au contenu de l’article si cela créer du sens ou le supporte.
Cela passe par une assimilation du contenu qui est d’abord mis en page sur notre grille de composition une première fois. On le laisse reposer quelque temps en faisant la même chose sur un autre article et on revient dessus. Petit à petit, il s'affine et se bonifie (ou pas), notre œil prend du recul, on est capable de prendre des décisions qui semblent plus justes, jusqu’au moment où il coche toutes les cases de notre chemin de fer et de la direction artistique.
Là on n’y touche plus jusqu’à la mise en page complète du magazine qui dans une vue d’ensemble nous propose des ajustements (optique, typographiques, graphiques) pour la consistance de l’objet éditorial.
Peux-tu nous parler des typographies choisies sur Akki ? Comment le choix s’est-il effectué ?
Nous sommes passées par beaucoup d’étapes avant de valider notre choix. L’idée que nous avions en tête était de trouver un équilibre entre expressivité, pragmatisme et usabilité, donc quelque chose d’assez versatile et permissif dans la composition de texte.
Nous savions que nous voulions un serif pour faire ça. Le GT Alpina de GrilliType nous a semblé être l’option parfaite, elle propose pleins de subtilité historique ultra-playful revisité dans un dessin strict et amène de la rigueur à nos compositions. Pour contraster nous voulions une linéale, le Uxum (dessiné par Bureau Nuits) qui est à l’origine une typographie de commande que nous avons peaufiné au fil du temps en collaborant avec de multiples intervenants, (Vincent Lacombe qui sortait tout juste de l’ANRT de Nancy) depuis prêt de 3 ans pour arriver à une version “finalisée” que vous découvrirez dans ce troisième numéro.
Son ligature set unique et riche inspiré des lettres lapidaires (gravées) en fait un terrain de jeu propice sur du display ; nous l’avons même utilisé en composition de texte dans ce dernier numéro.
C’est aussi Bureau Nuits qui a géré les couvertures ; comment s’établit le choix des photos ?
Le rédacteur-en-chef nous a toujours laissé la liberté de lui proposer des directions autour de concepts et moodboard qui nous amènent à définir un thème général. Libre à nous de l’interpréter dans la scénographie et l’esthétique. On a fait le choix de construire des images qui font sens sans être dans le premier degrés, toujours avec cette idée de niveaux de lecture et d’immersion dans les sujets.
C’est aussi un prétexte pour se faire plaisir avec des esthétiques qui sortent un peu des sentiers battus, des images “wtf”, qui questionnent, interpellent. L’idée c’est d’inscrire/démarquer l’objet et bien souvent la couverture est quand même le premier indicateur pour le/la lecteur·ice, que ce soit en distribution physique ou digitale.
Quels conseils en termes de D.A vous donneriez à quelqu’un qui souhaite lancer sa revue ?
Comme dans tout projet de design : la collaboration. On parle quand même d’un objet pour lequel bien souvent beaucoup de personnes sont mobilisés à sa juste réalisation. C’est indispensable de parler la même langue et de se faire confiance, a minima entre décisionnaires.
Merci beaucoup Jules pour tes réponses !
Découvrez bientôt la direction artistique et la couverture du troisième numéro d’Akki en précommandant votre exemplaire.